Gérer une relation avec quelqu’un qui se présente en victime de manière chronique, ce n’est pas juste épuisant : c’est un véritable défi émotionnel. Que ce soit un proche, un collègue ou un partenaire, la relation devient souvent pesante, piégée dans une dynamique où plaintes, reproches et impuissance s’enchaînent… et nous laissent tour à tour désemparé, irrité, ou tout simplement vidé.
Alors, que faire ? Comment rester bienveillant sans se sacrifier ?
Voici quelques repères pour mieux comprendre ces comportements – et surtout, savoir comment vous positionner de manière saine.
Pourquoi certaines personnes se placent-elles sans cesse en victime ?
Il ne s’agit jamais d’un simple caprice, ni d’une envie de vous nuire ou de vous manipuler – même si c’est parfois ce que vous pensez très fort…
Adopter le rôle de victime est, le plus souvent, une stratégie de survie née d’un passé douloureux. La personne a appris et intégré qu’elle n’avait aucun contrôle sur les événements et ne pouvait rien faire pour éviter de souffrir.
Imaginez un enfant qui a grandi dans un climat familial instable où chaque tentative d’affirmation était réprimée, parfois durement. À l’âge adulte, cette personne continuera inconsciemment à chercher la sécurité à travers la plainte et la passivité, croyant que rien ne peut changer dans sa vie. Elle cherche du soutien, mais envoie malgré elle un message de désespoir : « Je suis impuissante, venez me sauver. »
Ce comportement, aussi fatigant soit-il pour l’entourage, n’est donc pas dénué de sens. Il protège, il apaise l’angoisse. Mais il finit aussi par isoler.
Autre point important : une personne qui se victimise a souvent une estime d’elle-même très fragile. Elle ne croit pas en ses capacités, ne croit pas pouvoir être aimée pour ce qu’elle est vraiment, et préfère susciter la compassion plutôt que de risquer d’être rejetée.
Enfin, cette posture permet aussi d’éviter un face-à-face difficile avec la culpabilité ou la remise en question. Car si tout est toujours « de la faute des autres », il n’y a rien à changer en soi.
Gardez à l’esprit que derrière la plainte permanente se cachent, le plus souvent, des blessures et une douleur émotionnelle non résolue qui font réellement souffrir la personne.
Je sais bien que cela ne résout pas entièrement votre problème, mais si cela peut vous éviter de finir par la détester, c’est utile…
L’impact sur l’entourage : quand la relation devient un piège
Si vous vivez ou travaillez aux côtés d’une personne qui se place sans cesse en victime, vous l’avez sûrement remarqué : cette posture a un coût émotionnel élevé.
Vous vous sentez peut-être :
- Manipulé,
- Coupable,
- Injustement mis en cause,
- Ou tout cela à la fois.
Et cela déclenche en vous un tsunami d’émotions particulièrement difficiles à gérer : culpabilité, colère, frustration, etc.
Petit à petit, la relation glisse dans ce que l’on appelle le triangle dramatique de Karpman : face à cette victime, et bien malgré vous, basculez :
- Soit en sauveur (vous essayez de tout réparer à sa place),
- Soit en persécuteur (vous perdez patience et lui rentrez dedans).
Imaginez encore qu’un de vos collègues se plaint chaque semaine que « personne ne l’aide jamais ». Vous commencez par l’assister dans ses tâches pour le soulager (rôle de sauveur). Mais au bout d’un moment, votre fatigue et votre lassitude vous poussent à lui faire une remarque cinglante… et vous voilà devenu, à ses yeux, le méchant de l’histoire (rôle de persécuteur).
Résultat ? Il se sent encore plus incompris, et vous, encore plus fatigué et frustré. Personne n’y gagne.
Sachez que partager le quotidien d’une « victime » va très probablement activer vos parts « sauveur » et « persécuteur ». C’est quasiment systématique et cela sera, bien sûr, renforcé si ces parts sont déjà assez actives en vous au départ.
Ne vous flagellez pas, c’est une réaction naturelle. Prenez-en conscience et évitez d’alimenter ce fonctionnement, cela sera la base d’un positionnement sain pour vous et pour la « victime ».
Comment réagir avec bienveillance… sans s’oublier ?
Faites d’abord le deuil d’une double illusion qui nous envahit tous dans nos premiers moments avec une « victime » :
- Non, cette personne ne changera pas rapidement. Ses comportements sont profondément enracinés et le changement – s’il intervient – sera long et aura un coût élevé pour elle.
- Non, ce n’est pas à vous de la « sauver ». Vous n’êtes ni thérapeute, ni magicien, ni « Bruce tout puissant ».
Si vous souhaitez – ou êtes contraint – de rester en relation avec une « victime », votre première étape est donc d’accepter cette personne comme elle est, aussi difficile que cela soit pour vous.
Vous n’êtes pas pour autant impuissant. Vous pouvez adapter votre propre comportement pour mieux vivre la relation au quotidien, tout en évitant d’entretenir son rôle de victime. Voici quelques conseils pratiques pour aider l’autre en préservant votre équilibre.
Écoutez avec empathie, sans nourrir la plainte
Montrez à la personne que vous entendez sa souffrance : un simple « Je comprends que ce soit dur pour toi » peut déjà apaiser son besoin de reconnaissance. Mais attention : écouter ne veut pas dire valider tout ce qu’elle dit.
Par exemple : si elle s’enferre dans une plainte répétitive sans chercher de solution, aidez-la à sortir de ce schéma, au moins pour un moment. Vous pouvez l’écouter, puis rediriger la conversation vers un sujet plus positif ou proposer d’en reparler plus tard, dans un moment plus apaisé.
Posez des limites claires pour vous protéger
Vous avez le droit de préserver votre énergie et votre temps. Vous avez le droit de dire, par exemple : « Je comprends ton besoin d’en parler, mais là, j’ai besoin de me reposer un peu. On en reparle demain ? »
Évitez aussi de répondre aux messages nocturnes angoissés, ou de sacrifier vos soirées pour consoler ou rassurer systématiquement. Se préserver, ce n’est pas fuir : c’est respecter votre propre équilibre.
Attention : poser vos limites, parler de vos besoins et en prendre soin peut augmenter l’agressivité de la « victime ». Elle n’acceptera pas facilement de vous voir sortir de cette relation dont elle a absolument besoin. Préparez-vous donc à des reproches supplémentaires et continuez à respecter vos limites et à prendre soin de vos besoins.
Ne tombez pas dans le piège du sauveur
C’est tentant de faire à sa place, surtout si c’est quelqu’un qu’on aime. Mais à force d’agir pour elle, vous lui envoyez involontairement le message : « Tu n’en es pas capable seul.e ».
De plus, vous courrez le risque qu’elle disqualifie vos propositions et vos actions pour pouvoir rester dans sa place de victime. Rappelez-vous : en l’état actuel, elle ne peut en sortir sans affronter un passé parfois très douloureux et regarder en face des parts d’elle-même qu’elle ne peut supporter pour l’instant.
Préférez une posture d’accompagnement : « Je suis là si tu as besoin de moi, mais je ne peux pas faire les choses à ta place. Tu penses à quelle solution, toi ? »
Ne basculez pas non plus en persécuteur
Fatigue, agacement, exaspération… c’est humain. Mais si vous laissez exploser votre colère, la personne se victimisant s’en servira pour confirmer son récit intérieur : « Tu vois, tu m’agresses, comme les autres, comme toujours. »
Essayez autant que possible de parler de vos ressentis sans l’attaquer personnellement. Vous pouvez exprimer et respecter vos limites sans entrer dans le reproche.
Encouragez sa responsabilité et son autonomie
Valorisez les moments où la personne agit, même un peu. Soulignez ses ressources passées : « Tu te rappelles quand tu avais géré cette situation avec brio ? »
Posez des questions ouvertes pour l’amener à réfléchir : « Qu’est-ce que tu pourrais essayer cette fois ? », ou « Qu’attends-tu concrètement de moi ? »
L’objectif : lui faire sentir qu’elle a, en elle, les moyens de se remettre en mouvement.
Proposez une aide professionnelle si besoin
Si vous sentez que la souffrance de l’autre vient d’un traumatisme profond, suggérez avec délicatesse un accompagnement thérapeutique. Là encore, sachez qu’elle n’accueillera pas forcément avec douceur cette proposition, car cela réactive sa peur d’affronter ses souffrances passées.
Vous aurez semé une graine, c’est le mieux que vous puissiez faire. Si elle choisit un jour de faire ce chemin, tant mieux. Sinon, vous aurez fait votre possible en lui offrant compréhension et limites.
Prenez du recul par rapport à ce que vous ne pouvez pas contrôler : on ne sauve pas quelqu’un à sa place et encore moins malgré lui.
Et surtout… prenez soin de vous
- D’abord,
- Ensuite,
- Et enfin :
Prenez soin de vous dans cette relation. Ne vous oubliez pas. Acceptez vos limites.
- Entourez-vous de personnes soutenantes,
- Gardez du temps pour vos loisirs,
- Exprimez vos émotions dans un cadre sécurisé.
Vous ne pouvez pas porter à bout de bras la détresse d’un autre sans y laisser votre santé mentale.
Si cette relation devient trop lourde, il est parfois nécessaire de prendre du recul – temporairement, ou durablement. Ce n’est pas un échec. C’est un acte de respect pour vous deux.
En résumé…
Vous n’avez pas à choisir entre être bienveillant et vous protéger. Les deux sont possibles. Ce que vous pouvez offrir de plus juste – à vous-même, et à l’autre, c’est :
- Rester présent sans vous sacrifier,
- Poser vos limites sans culpabiliser,
- Accompagner sans sauver.
Chacun est responsable de son bonheur et de sa vie. Vous pouvez être présent, soutenant et empathique, mais vous n’êtes pas maître du destin de l’autre.
En prenant soin de votre équilibre psychologique, non seulement vous vous protégez, mais vous serez aussi dans de meilleures dispositions pour être le plus aidant possible.
Ces lignes sont très loin d’épuiser le sujet et elles ne peuvent pas répondre à tous les cas de figure. Si vous vivez une telle relation et qu’elle vous impacte fortement, je vous encourage chaleureusement à vous faire aider par un thérapeute. Seul cet accompagnement pourra entrer dans le détail, la complexité et la finesse dont vous avez besoin pour vous aider.
Voir aussi l’article « Comment gérer une relation difficile au travail ? »